La thérapie par la danse et le mouvement débute au cours des années quarante aux USA, initiée par des danseuses contemporaines qui cherchent un passage d’une danse classique-performante à une danse expressive-émotive.

Cette méthode psychothérapeutique est fondée sur la présupposition que le corps et l’appareil psychique sont liés, et donc que chaque processus est vécu aussi bien au niveau du corps qu’au niveau émotionnel.

Ceci se manifeste dans la pratique et la clinique comme capacité à mobiliser les forces et les outils de l’appareil physique pour traiter les pathologies émotionnelles.

La conception dominante dans ce domaine est que le corps conserve les traces d’expériences anciennes sous forme de tensions musculaires et qu’il possède les moyens de raconter ces expériences à la façon d’une autobiographie.

A travers le mouvement-émotionnel, nous cherchons à retracer l’histoire du patient là où les symptômes névrotiques ne lui permettent pas de former des chaines de pensées.

De la pratique transmise par les pionnières et les thérapeutes qu’elles ont formées, nous, en l’espèce, il s’agit d’un je, pouvons exposer les fondamentaux de la méthode telle que nous l’utilisons[1].

Ils sont au nombre de trois : l’échauffement, l’improvisation, la verbalisation. Ces notions sont revisitées à partir de notre expérience clinique.

L’échauffement, une cartographie du corps

« Ce n’est pas une gymnastique, c’est une prise de conscience »[2]. (Maurice Béjart)

L’échauffement est un processus de relâchement des excès de tensions visant à guider l’individu dans un état intermédiaire entre relaxation et tension, et ainsi ouvrir à un état de réceptivité aux sensations corporelles, aux émotions, et à la possibilité d’expression active.

Comme nous l’ont présenté Chace, Evan et Schoop, l’échauffement vise à reconnecter les personnes à la réalité psycho-physique du moi, et prépare le corps au travail technique, et à l’expression des pensées et des émotions qui seront évoquées à travers le processus d’improvisation en mouvement.

Pour nous, l’échauffement est utilisé pour la prise de conscience du corps : poser le corps, mettre en mouvement chaque partie du corps, posant ainsi une « cartographie du corps » qui ensuite sera mis en mouvement.

Sous le terme « cartographie du corps », nous entendons à la fois un processus physique et cognitif.

Les membres sont investies par la sensation du mouvement et appréhendés par la connaissance de l’ordre de leur disposition physique.

Ainsi la carte du corps est posée, pas seulement en tant qu’image statique, mais comme corps en mouvement que le sujet utilise pour s’exprimer.

En aidant le patient à clarifier son mouvement et à élargir son répertoire, son identification à son propre corps et son implication dans sa propre expression peuvent alors s’unifier.

Le corps devient un lieu connu que le sujet s’approprie, et le mouvement son langage d’expression.

Pour tout sujet, plus particulièrement pour ceux atteints de diverses pathologies, il est utile que soient renommées chacune de ces parties, rappelées comment elles se structurent pour qu’il puisse en prendre conscience.

En effet, il est impossible de débuter un mouvement sans que le corps soit sensibilisé.

Cette étape peut si le patient le souhaite s’accompagner de musique, une musique dans ce cas qui aurait sa préférence.

Il est possible de le laisser diriger l’échauffement pour trois raisons : soit dans une démarche d’enseignement des actions nécessaires pour libérer les tensions musculaires, soit pour encourager la prise en charge de soi, soit pour l’affirmation du moi.

Quand il s’agit de séance de groupe, nous suivons les préconisations de Chace auxquelles nous ajoutons la « cartographie du corps ».

Dans le deuxième chapitre de cette recherche, plus spécifiquement dans les analyses cliniques, nous exposerons comment nous nous servons de cette cartographie du corps dans le cadre d’un travail thérapeutique.

Ensuite, nous utilisons l’échauffement pour promouvoir l’interaction, chaque participant propose un geste qui sera ensuite repris par le groupe dans une chorégraphie collective comme le faisait Chace[3].

Avant de conclure l’échauffement, nous demandons au patient comment il se sent, et vérifions si une partie spécifique du corps aurait besoin d’une attention supplémentaire.

Cette phase est souvent utilisée pour travailler les différentes parties du corps de façon isolée (seulement les épaules, ou seulement le bassin, etc.), dans l’optique de prendre conscience des tensions spécifiques et du fonctionnement mécanique de chaque membre, pour pouvoir ensuite les intégrer dans un mouvement fluide.

L’improvisation, la phase du mouvement libre

Il y a d’abord l’apprentissage et l’exercice technique… Ensuite vient l’éveil de la personnalité, par laquelle passe ce que l’on porte en soi. […] L’essentiel, bien entendu, est de savoir que chacun est unique au monde… [4](Martha Graham)

Au cours d’une séance, ce processus est généralement initié par le thérapeute pour encourager le patient à s’exprimer à travers le mouvement spontané et libre.

Le thérapeute invite la personne à bouger, avec ou sans musique, selon la préférence du patient à ce moment, l’encourageant à dépasser les premiers moments de timidité et d’hyper-conscience de soi.

Cette phase vise à créer un espace où le patient peut narrer sa vie. Dans cette optique, plusieurs outils  peuvent être utilisés musique, mise en scène, etc.

Comme nous l’explicite Whitehouse, dans ses travaux, quand le corps est mis en action, un mouvement constant d’informations va de l’inconscient vers le conscient, créant une  narration gestuelle[5].

Pendant ce temps, le thérapeute, en position de témoin, encourage le patient à extérioriser et exprimer les gestes et les mouvements qui apparaissent par le regard et la présence attentive, ou si nécessaire par les mots. Pour le thérapeute entraîné, chaque apparition d’un mouvement arbitraire peut immédiatement être détecté.

Il est le signe d’une interruption de la concentration et généralement prend la forme d’un schéma de mouvement habituel ou l’individu se sent “à l’abri”.

Ce mouvement, la plupart du temps, vient signaler l’irruption d’un contenu perturbant, ou la crainte de s’engager plus profondément dans l’exploration de l’inconnu[6].

Le mouvement libre, comme le définit Martha Graham, est composé d’une coordination harmonieuse des membres du corps, de leur variété d’action, vers un rythme établi de contraction et détente[7].

Un tel mouvement est fluide et paisible, ne souffre d’aucun blocage, est économique en terme d’énergie, tout en étant capable de concentrer des forces opérant avec vitesse et précision quand cela est nécessaire[8].

A travers une telle connaissance du corps et de son mouvement,  la personne acquiert une sensation de contrôle de soi et de l’espace.

Elle reconnaît les possibilités de changement directement ou de façon détournée, se sent à l’aise dans cette sensation et l’utilise ouvertement pour ses besoins et son expression.

Cette coordination corporelle se base sur la perception de la structure du corps, de son poids, de l’espace et du temps, et permet de choisir les bons points d’appui pour garder un équilibre ;  un équilibre qui est la clef de la gestion corporelle[9].

En effet, un mouvement déséquilibré entraîne une tension musculaire et un inconfort résultant de l’effort, autant psychique que corporel.

Et donc la capacité de libérer les membres qui ne font pas partie du mouvement, de choisir le mouvement apte à servir de la façon la plus efficace le besoin du moment, de s’abstenir de tout effort superflu et de conserver les forces du corps, adoucit l’effort psychique que l’expression corporelle exige et permet d’ajuster le mouvement au rythme pulsionnel.

 

La verbalisation, le temps de parole

 Je me risque à dire que la danse ne peut être complètement intellectualisée sans perdre de son audience et de son essence même[10]. (Doris Humphrey)

Contrairement à ce que les personnes ont tendance à penser, la thérapie par la danse et le mouvement ne néglige ni ne s’oppose à aucun moment à l’aspect verbal de la thérapie ou de la communication.

La parole a une grande importance dans le processus thérapeutique, aussi bien que dans la pratique, comme nous l’avons vu dans la présentation des pionnières.

La mise en mots est utilisée pendant les séances pour servir différents objectifs : identifier les parties du corps, encourager le mouvement, stimuler l’imagination et communiquer avec les patients.

Il faut noter que la réaction motrice à certains mots et idées peut être utilisée pour aider le patient à développer son imagination, et que des questions directes peuvent lui permettre d’exprimer en mots et en mouvements les émotions, aidant ainsi à la clarification de l’expérience et des sensations vécues[11]. On consacre un temps spécifique à la parole.

Dans ce temps, on encourage le patient à exprimer ses mouvements personnels “à sa façon” pour augmenter sa conscience et sa sensibilité au mouvement en tant qu’expression créative et individuelle.

L’aspect verbal est généralement utilisé pour l’étape du rassemblement, de la synthèse et de l’organisation des mouvements, des sentiments et des pensées qui ont créé l’expérience.

Le pré-supposé de la danse thérapie est que le corps et l’esprit sont en relation (a body mind relation).

Il y a l’idée que le comportement corporel reflète des états émotionnels intérieurs, et que le changement des schémas de mouvement peut entraîner la mobilisation des états psychiques.

Raison pour laquelle nous mettons l’accent sur le retour à la réalité somatique pour réveiller la source première-préverbale de l’expérience psychique.

A travers le mouvement libre, nous cherchons dans la danse thérapie à harmoniser la relation corps et esprit, perturbée par les pathologies mentales. 

 

[1] Le protocole de séance change lorsque nous travaillons avec un groupe ou en séance individuelle.

[2] Béjart, M., Lettres pour un danseur, op. cit., p.20.

[3] Chaiklin, H., Marian Chace : Her Papers, op.cit.

[4] Graham, M., Mémoire de la danse, op. cit., p.10.

[5] Whithouse, M.S., Adler, J., Chodorow, J., Authentic movement, op.cit.

[6] Chodorow, J., Therapy and depth psychology: the moving imagination, op. cit.

[7] Graham, M., Mémoire de la danse, op.cit.

[8] Humphrey, D., (1959), Construire la danse, op. cit.

[9] Graham, M.,  Mémoire de la danse, op. cit.

[10] Humphrey, D., (1959), Construire la danse, op. cit., p.187.

[11] Chace, M., Dance as adjunctive therapy with hospitalized patients, op.cit.