La question psychosomatique
Chers amis et collègues, Yehoshua Bar-Hillel nous a transmis que la question que nous allons discuter aujourd’hui est l’une des plus anciennes de la pensée sur l’homme et, qu’en effet, il n’y a rien de nouveau à ajouter … ( et cependant) elle existe, et tous ceux qui ont tenté de l’éviter ont eu le privilège de voir la résurrection des morts[1]. (Yeshayaho Leibowitz)
La question psychophysique, qui est l’essence de la relation corps-esprit, est fondamentale pour l’appréhension de l’être humain.
Dans les temps anciens, la philosophie, la psychologie et la médecine consistaient en une seule pratique et la plupart des recherches tendaient à intégrer plutôt qu’à distinguer ces disciplines.
Au dix-septième siècle, lors de la révolution scientifique, la culture occidentale sépare l’âme du corps, et l’homme de la nature.
Cette approche permet à la médecine de se focaliser sur la recherche et la guérison du corps, le séparant de l’âme.
Ainsi, la recherche prend pour base la preuve scientifico-empirique.
L’introduction de la psychanalyse
Freud, à l’aube du vingtième siècle, note que le progrès de l’art de médecine moderne et de la science a permis des avancées au niveau du traitement du corps, toutefois ce progrès s’est accompagné d’un abandon de l’âme aux philosophes[2].
L’influence du corps sur l’âme a donc été bien étudiée par la médecine moderne, mais pas l’action de l’âme sur le corps. Ce que fera Freud avec l’invention de la psychanalyse.
La relation entre l’âme et le corps est une relation réciproque comme nous le transmettent la philosophe, la médecine et la psychanalyse.
Et si la médecine moderne a traité l’aspect corps-âme, et la psychanalyse l’aspect âme-corps, il serait temps aujourd’hui, au vingt et unième siècle, de traiter cette relation de complémentarité et de réciprocité.
Nous sommes conscient du défi que la nature du sujet impose, mais dans le même temps cette démarche nous apparaît incontournable dans le cadre de la médecine, et tout aussi incontournable dans le cadre du traitement psychique moderne défini par Freud : “la tentative d’éveiller chez le malade des états et des conditions psychiques propres à favoriser sa guérison”[3].
Le mouvement comme objet de recherche
La thérapie par la danse et le mouvement, institutionnalisée en 1966 (USA), comme profession thérapeutique est basée sur la présupposition que le corps et l’esprit (body-mind relation) sont liés.
L’exigence préalable d’une connaissance intime du mouvement et du corps réduit de façon significative le nombre de personnes aptes à traiter par cette méthode thérapeutique.
Pour les danseurs attirés par la compréhension du psychisme (la psyché) et le souhait de devenir thérapeute, cette méthode présente des possibilités uniques.
Danseuse professionnelle, je me suis formée à la danse thérapie après des études de psychologie.
Au cours de ce cursus mixte, la question de l’influence réciproque corps-psyché a pris corps en moi.
Du côté de la théorie, j’ai trouvé des réponses sur l’influence réciproque de la psyché et du soma, mais très peu sur l’utilisation de cette influence dans le cadre d’un traitement psychothérapeutique.
Dans la tentative de mieux comprendre leur lien, je me suis tournée vers la pratique du Yoga, et j’y ai trouvé une philosophie préoccupée par l’influence corps-esprit-spiritualité, mais pas par la psychopathologie.
J’ai rencontré cette question de la relation du corps et de l’esprit, au cours de ma pratique aussi bien en institution psychiatrique, en hôpital général, en unité pour patients à risque qu’en pratique privée.
Mon questionnements ’inscrit dans un cursus académique, et de ce fait, je me suis trouvée face à une problématique de théorisation.
La problématique de la recherche
En effet, l’approche spirituelle du yoga de la relation corps-esprit n’est pas accueillie par le discours scientifique et par l’académie.
L’approche psychanalytique favorise la description de processus psychiques du point de vue psychique, mais néglige le rapport bi-directionnel des processus liés au corps et à l’esprit.
L’approche de la psychologie dite scientifique se désintéresse des processus psychiques profonds et de l’accompagnement nécessaire à un individu pour qu’il y ait changement.
Il me manquait donc les outils pour mener une recherche sur cette relation corps et esprit, d’autant plus que la thérapie par la danse et le mouvement ne fait pas encore l’objet de recherche.
Le mouvement un outil thérapeutique
L’expérience et le raisonnement sont les modes effectifs de la connaissance, mais comme le monde académique opère sur la base du raisonnement, il nous reste la tâche de trouver les métaphores et la méthodologie pour expliciter l’importance du traitement psychosomatique et l’effectivité du travail thérapeutique avec le mouvement.
La nature énigmatique de la relation psychosomatique couplée aux exigences académiques d’un discours scientifique s’est présentée à nous dans toute sa puissance dans l’écriture et la lecture de ce travail de recherche.
La relation corps-âme définie pour la philosophie ce qu’est un homme.
La principale difficulté est de conceptualiser le déséquilibre de cette relation en termes de psychopathologie quand le concept même d’équilibre corps et esprit n’est pas théorisé.
Pour surmonter cette difficulté, nous avons fait retour à la pensée métaphysique des philosophes Aristote et Descartes et à la métapsychologie de Freud, et ensuite poser notre postulat : l’action du corps, autrement dit le mouvement, est une faculté commune au composé corps et âme, qu’est l’homme.
A partir de cela, nous tentons de définir le mouvement comme expression psychique.
Ce chemin doit servir à théoriser l’utilisation du mouvement comme outil thérapeutique dans le cadre de la thérapie par la danse et le mouvement, à définir le déséquilibre psychosomatique à partir de la clinique de la danse thérapie et le traiter.
La connaissance des pathologies mentales et des théories analytiques est essentielle pour comprendre la pathologie de la relation psychosomatique et analyser les résultats cliniques de la thérapie par la danse et le mouvement.
En effet, il s’agit avant tout dans cette recherche de méthode et de clinique par la danse et le mouvement.
L’équilibre psychosomatique
Si le mouvement comme outil thérapeutique concerne un champ restreint, en revanche l’équilibre psychosomatique ou la relation corps et esprit intéresse la thérapeutique au sens large.
Selon les termes de Yoram Yovel, psychanalyste, psychiatre et neurologue :
Le travail psychothérapeutique implique certaines hypothèses importantes en ce qui concerne le rapport entre le corps et l’esprit, dans la manière dont le thérapeute formule ce lien, que ce soit de manière consciente ou de manière inconsciente.
Cette formulation a un impact très important sur la thérapie, plus particulièrement lorsqu’il y a des difficultés ou lorsqu’elle est ‘bloquée’[4].
La thérapie par la danse et le mouvement appréhende le mouvement du corps à la fois comme un outil diagnostique et outil thérapeutique.
Elle utilise la danse et le mouvement pour permettre au patient de narrer son histoire au niveau conscient et inconscient à travers l’action du corps.
En danse thérapie, le patient est invité à découvrir et examiner son vécu psychosomatique (corps-psyché).
Mais aussi prendre connaissance des contenus psychiques inconscients et des mémoires refoulées à travers le mouvement et les émotions que ce dernier réveille.
Le processus permet au patient d’être attentif aux signaux du corps, de leur faire confiance, et de se sentir à l’aise dans son vécu physique ; ce processus encourageant l’acceptation et la connaissance de soi.
Selon ce domaine, les corps deviennent au cours des années une autobiographie où les postures du corps et les tensions musculaires reflètent des attitudes psychiques adoptées pour faire face aux événements de la vie[5].
L’objectif du travail avec la danse et le mouvement n’est pas seulement de sensibiliser le patient aux messages transmis par le corps, mais de l’encourager à s’exprimer à travers le corps.
Le rôle du danse thérapeute est d’aider le patient à construire et à enrichir la relation entre le corps et la psyché pour renforcer les forces de guérison, mais aussi de l’aider à élargir sa communication avec l’environnement[6]. Dans ce travail, le patient et le thérapeute sont tous les deux en mouvement.
En effet, la relation thérapeutique, le transfert, s’instaure à travers le mouvement à deux.
Cette instauration du transfert, spécifique à la thérapie par la danse et le mouvement, est déployée dans le corps de cette recherche.
La parole associée au mouvement et aux émotions qui surgissent, permet aux expériences vécues au niveau préverbal d’être associées aux comportements présents du patient.
Pour conclure sur la métapsychologie du mouvement
Puisque la danse thérapie utilise le corps pour atteindre les processus psychiques à travers le mouvement thérapeutique, l’influence du traitement a lieu à la fois au niveau du corps et au niveau psychique.
Ce qui en fait une thérapie psychosomatique.
Le corps, dans cette recherche, est un espace physique-émotionnel-psychique.
Le mouvement exprime de façon active les besoins et les désirs de l’homme, créant ainsi un dialogue avec son entourage.
Ce corps, comme nous l’approchons, est un corps en mouvement dont le langage est structuré par des représentations psychiques et par des règles d’enchaînement physiologique.
Il n’est pas appréhendé sous l’angle médical, même si nous reconnaissons l’importance de ce domaine.
En effet, le but de cette recherche n’est pas de discuter de physiologie, d’anatomie, de processus organique, mais de conceptualiser le mouvement comme expression psychique et outil thérapeutique.
[1] Leibowitz, Y., (1975), Body and Mind (hébreu) Ministère de la défense, Israël, 1986, p.11.
[2] Freud, S., (1890), « Traitement psychique (traitement d’âme) », in Résultats, idées, problèmes I, Paris, PUF, 1984.
[3] Ibid., p. 11.
[4] LEIBOWITZ, Y., KAHENMANN, D., YOVEL, Y., Mind and brain: Fundamentals of Psycho-Physical Problems. Jérusalem, Van Leer Institute, 2005, p.81.
[5] SHAHAR-LEVY, Y., The visible body reveals the secrets of the mind: A body-movement-mind paradigm (BMMP) for the analysis and interpretation of emotive movement, Jerusalem, Author’s Hebrew edition, 2004.
[6] BARTENIEFF, I., « Dance Therapy: A New Profession or a Rediscovery of an Ancient Role of the Dancer? », in Dance Scape, Vol 7, 1972, p. 25-35.